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Nature et liberté

 

« Toute chose dans la nature agit d’après des lois. Il n’y a qu’un être raisonnable qui ait la faculté d’agir d’après la représentation des lois » dit Kant dans la deuxième section des Fondements de la métaphysique des mœurs. Tous les objets matériels sont soumis à des lois strictes qui déterminent leurs propriétés et leurs définitions. Ils sont définis a priori. Les animaux sont soumis aux lois strictes que leur impose leur instinct, et tous les êtres naturels sont soumis au principe du déterminisme universel, principe premier de la science qui suppose que dans la nature, il n’y a pas d’effet sans cause ni de cause sans effet. L’être humain est le seul à être doté d’une liberté qui lui permet d’échapper à ce principe : sa volonté peut être la cause non motivée des effets qu’il produit. L’être humain n’a pas de nature, il a une condition ; il est défini a posteriori, par ses actes, et choisit les lois auxquelles il obéit.

Définition, principes et conséquences de l’existentialisme

 

Selon Sartre, chez l’homme, « l’existence précède l’essence ». Nous sommes jetés dans le monde, dans un état de parfaite indétermination, et au fur et à mesure de notre existence, nos actes nous définissent. L’homme est défini a posteriori alors que les animaux et les objets sont définit a priori, c’est-à-dire que les animaux et les objets sont définis avant d’exister, alors que l’homme acquiert sa définition au fur et à mesure de ses actes. L'existentialisme considère chaque être humain comme maître de ses actes et de son destin et responsable des valeurs qu'il décide d'adopter, puisqu’il n’y a pas de Dieu pour le concevoir a priori et lui donner une définition prédéterminée. L'existentialisme est donc un athéisme déclarant que l’homme est un être absolument libre et absolument responsable. L’homme est « condamné à être libre », comme le dit Sartre, mais cette liberté est angoissante. L’homme fuit donc la liberté en se réfugiant dans la mauvaise foi, ce mensonge à soi-même rassurant mais factice qui consiste à s’inventer une définition et à y croire.

L’homme est ce qu’il n’est pas et n’est pas ce qu’il est.

 

Dépourvu d’essence a priori, l'homme apparaît dans le monde, existe et se définit après. Si l'homme ne peut être défini au commencement de son existence, c'est qu'il n'est d'abord rien, qu’il devient ensuite, et devient tel qu'il choisit de se faire. L’homme naît vierge de toute détermination, c’est lui qui invente sa propre définition. Par conséquent ce qui caractérise l’homme en propre, c’est la liberté de se déterminer lui-même : il n’existe pas de nature humaine et il n’y a pas de Dieu ou de réalité transcendante pour en dicter les lois. L’homme est ce qu’il n’est pas et n’est pas ce qu’il est : libre, il est dépourvu de définition fixe comme c’est le cas pour la chose, enfermée dans sa définition. Il est donc à la fois ce qu’il choisit d’être mais ne l’est jamais définitivement et complètement. C’est dans sa capacité réflexible (capacité de retour sur soi et de distanciation) que l’homme marque sa différence. Cet écart est marqué par la médiation, ce à quoi les animaux n’ont pas accès par exemple, puisqu’ils sont toujours dans l’immédiat. L’homme n’est pas ce qu’il est car il passe son temps à se transformer, à transformer sa nature en la niant, c’est-à-dire en lui imposant des expressions culturelles qui la marquent, la modélisent, l’informent (ainsi, la tresse nie les cheveux).

Les lâches et les salauds

Il existe différentes  façons d'être de mauvaise foi, c'est-à-dire de ne pas assumer son plein engagement dans chacun de ses actes. Les « lâches » font porter la responsabilité de leur choix sur autre chose  qu’eux-mêmes : sur la passion considérée comme irrésistible, sur le tempérament, la physiologie, sur des signes inscrits dans le monde qui indiqueraient la route à suivre. Les lâches ont besoin de  trouver un aval pour assumer leur choix, quitte à se réfugier dans des prétextes irrationnels. Or, l'homme est toujours responsable de sa passion : c'est lui qui choisit de s’y abandonner. De même, il choisit aussi le sens et l'attention qu'il donnera à ce qu'il appelle les signes du destin, ainsi le jésuite de L'Existentialisme est un humanisme. Tous ceux qui prétendent le contraire sont de mauvaise foi, puisqu’ils refusent d'assumer la liberté de leur choix et le délaissement de la condition humaine. Les « salauds » pensent leur existence comme nécessaire, et résorbent ainsi toute angoisse, au lieu d'assumer l'absolu contingence de leur apparition dans le monde. Ce que le hasard d'une naissance a fait, ils le revendiquent comme allant de soi. Le lâche et le salaud sont donc des anti-modèles dans la construction authentique de soi : nous nous  choisissons toujours en face des autres, pour nous et pour les autres, puisque notre choix pose des valeurs que nous souhaitons universelles.

Liberté, égalité, fraternité

L’intellectualisme moral

 

Nul ne fait le mal volontairement. Tel est le principe de l’intellectualisme moral qui suppose que le méchant n’est pas celui qui veut le mal pour le mal mais celui qui confond le bien et le mal. Son choix ne révèle pas la puissance de sa volonté mais la faiblesse de son entendement. Si un individu sait où est le bien, il le choisit nécessairement. L’homme qui choisit le mal se trompe en choisissant le mal en croyant que c’est le bien. Si on croit que le mal est une erreur et non pas une faute, on suppose que le méchant est à rééduquer. Si on croit au diable, c’est-à-dire à la volonté du mal pour le mal, on considère que le criminel est à abattre comme une bête enragée. S’opposent sur ce point deux postures morales aux fondements métaphysiques inconciliables.

Libéralisme et socialisme


Le libéralisme affirme la primauté des principes de liberté et de responsabilité individuelles. Il repose sur l’idée que chaque être humain possède des droits fondamentaux qu'aucun pouvoir ne peut violer. En conséquence, les libéraux veulent limiter les obligations sociales imposées par le pouvoir et plus généralement le système social au profit du libre choix de chaque individu. Le libéralisme repose sur un précepte moral qui s'oppose à l'assujettissement de l'individu, d'où découlent une philosophie et une organisation de la vie en société permettant à chaque individu de jouir d'un maximum de liberté, notamment en matière économique. Au sens large, le libéralisme prône une société fondée sur la liberté d'expression des individus dans le respect du droit du pluralisme et du libre échange des idées. Elle doit joindre d'une part dans le domaine économique, l'initiative privée, la libre concurrence et son corollaire l'économie de marché, d'autre part, des pouvoirs politique et économique bien encadrés par la loi et les contre-pouvoirs. Elle valorise donc le mérite comme fondement de la hiérarchie. Le socialisme est un type d'organisation sociale basé sur la propriété collective (ou propriété sociale) des moyens de production par opposition au capitalisme. Le mouvement socialiste recherche une justice sociale (est injuste ce qui n'est pas acceptable socialement) condamne les inégalités sociales et l’exploitation de l’homme par l’homme, défend le progrès social et prône l'avènement d'une société égalitaire sans classes sociales.

Anarchie et anarchisme

L’anarchie est absence d’ordre, confusion et désorganisation. L’anarchisme est une théorie politique et un système d’organisation sociale qui se fait sans contrôle hiérarchisé, c’est-à-dire sans Etat, sans gouvernement, sans chef ou classe sociale dominante. L’anarchisme est antiautoritaire et libertaire. L’anarchisme comporte un grand nombre de courants. Si tous refusent l’autorité d’un pouvoir supérieur, ils se distinguent par le niveau d’intégration de l’individu dans le groupe social. Si certaines formes d’anarchisme sous-entendent que l’individu a des obligations (vis-à-vis du groupe social, de la coopérative, de la communauté, de la société), d’autres formes plus libertaires rejettent toute forme de contrainte. Les principaux courants de l’anarchisme sont :

- l’anarchisme communiste : il prône la dictature du prolétariat, qui doit mener à l’extinction progressive du pouvoir étatique central,

- l’anarchisme socialiste : il prône l’abolition de l’Etat, du capitalisme et de la propriété, en vue d’instaurer une société égalitaire et coopérative,

- l’écologie sociale : elle prône un développement humain en harmonie avec la nature, sans domination ni hiérarchie. Ses valeurs sont la diversité, la décentralisation, la citoyenneté, la démocratie réelle et la solidarité. Le travail et la technologie sont mis au service de l’homme,

- l’anarcho-syndicalisme : il se fonde sur les syndicats comme mode d’organisation sociale et productive,

- l’anarchisme fédéraliste (type proudhonien) : il prône l’autogestion, le travail et une certaine forme de démocratie fédérant des collectivités,

- l’anarchisme individualiste : il prône une totale autonomie individuelle, y compris par rapport au groupe social. Cela se traduit par une absence d’obligation et de sanction. La volonté de l’individu prime. La notion de société est rejetée, celle d’association (libre, souple et temporaire) est préférée,

- l’anarchisme primitiviste : il rejette la société productiviste, la division du travail, le progrès technologique et économique car ils mènent à un système (social, culturel, étatique) qui aliène l’homme. C’est donc un rejet de la civilisation tout entière. Le but est le retour à une société de liberté et d’authenticité inspirée des modes de vie primitifs, proches de la nature,

- l’anarchisme chrétien  qui consiste en une application des préceptes chrétiens basés sur l’amour du prochain et la non-violence. L’anarchisme chrétien prône la vie en communauté et refuse toute autorité instituée. Il obéit à l'Evangile mais rejette le clergé et la morale codifiée de l’Eglise.

Le terme anarchie sous-entend chaos et désordre. Or l’anarchisme ne prône pas le désordre mais l’absence d’autorité. On peut en effet imaginer une société ordonnée, organisée et harmonieuse, tout en étant dépourvue d’autorité supérieure, d’administration étatique ou de système de contrôle central. Une telle société serait autogérée par ses membres selon des règles et des pratiques vertueuses (communication, partage, respect, solidarité, altruisme, intelligence collective, démocratie directe). En définitive, l’anarchisme, dans sa définition pure, est l’ordre sans autorité.

Les anarchistes dénoncent l’idée que le pouvoir et la domination sont nécessaires pour assurer l’ordre. Le salut ne peut venir que de l’autogestion. En prenant leur destin en main, les individus se coordonnent et adoptent des pratiques dans l’intérêt d’eux-mêmes et de tous. Au final, l’anarchisme prône à la fois la liberté et la responsabilité. L’écoute, le dialogue et l’intelligence collective sont censés permettre l’avènement d’une société pacifiste, où chacun trouvera sa place et pourra se réaliser. Ainsi l’épanouissement de l’homme est au cœur de l’anarchisme : il s’agit d’une théorie humaniste, même si certains courants de l’anarchisme ont dérivé vers l’hyper-individualisme, aboutissant à l’inverse de l’effet recherché. Certains mouvements anarchistes prônent l’insurrection. Ils voient la destruction de toutes les institutions politiques et économiques comme un préalable pour instaurer l’anarchisme.  La différence entre anarchie et anarchisme devient alors moins évidente. Mais cette dérive violente est contre-productive puisqu’elle aboutit à légitimer la violence d’Etat en vue de rétablir l’ordre.

Définition, dangers et critique de l’ethnocentrisme

 

L’homme est dépourvu de nature. Il n’est pas programmé a priori par une définition stricte. La condition humaine est culturelle : au sens individuel comme au sens collectif, la culture spécifie l’être humain parmi les vivants. L’ethnocentrisme est un défaut qui consiste à confondre ses habitudes culturelles avec la norme, et à oublier que l’artificiel de la coutume et des représentations est acquis. « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. », dit Montaigne, dans les Essais. L’ethnocentrisme, fondé sur l’ignorance, conduit souvent au mépris des autres et à la xénophobie. « Le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie. », dit l’ethnologue Claude Lévi-Strauss dans Race et histoire. Considérer l’autre comme étranger à l’humanité, c’est s’en exiler soi-même moralement. Pour lutter contre ce défaut, il faut suivre le conseil que donne Descartes, dans la première partie du Discours de la méthode : « ne rien croire trop fermement de ce qui ne m'avait été persuadé que par l'exemple et par la coutume ».

L'homme est un être culturel

La culture est ce complexe qui comprend la connaissance, la croyance, l’art, la morale et toutes autres aptitudes ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société. La culture est ainsi cette partie  de son milieu que l’homme crée lui-même, par opposition à la nature, qui est le milieu donné à l’homme. L’idée qu’il existe une nature humaine qui serait un ensemble de propriétés définissant de manière éternelle et immuable l’être humain est remise en question par Sartre qui affirme, dans L’Existentialisme est un humanisme, que chez l’homme « L’existence précède l’essence ». Dans la perspective athée qui est celle de Sartre, il n’y a pas de Dieu qui conçoive a priori l’essence humaine. Contrairement aux animaux, définis par leur nature, la définition de l’homme n’est pas seulement somatique : elle se caractérise surtout par ses idées (morales, politiques), ses choix et ses engagements. La personnalité de l’homme n’est pas innée contrairement aux animaux qui eux sont soumis à l’hétéronomie la plus totale et aux lois de leur instinct. L’homme se caractérise par l’intelligence et la capacité d’auto-programmation et d’autonomie. L’homme est donc ce qu’il se fait. L’être humain n’existe pas avant de se définir lui-même et n’est humain que dans une dimension spirituelle. L’homme a donc davantage une histoire qu’une nature.

Grandeur et misère de l’homme selon Pascal

 

Grandeur et misère signent ensemble la contradiction de la condition humaine. Depuis le péché originel, le sort de l’homme est digne de pitié : sa condition est misérable. Mais l’homme est grand dans sa misère en tant qu’il la reconnaît. « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. » (Pensées, éd. Brunschvicg, fragment 347) Néanmoins, l’homme demeure misérable dans sa grandeur, puisqu’elle ne lui permet que de reconnaître sa misère. Seuls ceux qui, comme Pascal, ont la foi, accède à la consolation du salut. « Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment, Joie, Paix. », écrit Pascal dans Le Mémorial.

 

Le divertissement selon Pascal : une échappatoire vaine mais nécessaire

 

Pour oublier la misère de leur condition, les hommes se divertissent. Le divertissement est lui aussi un aspect nécessaire de la condition humaine et tous les hommes s’y emploient. « Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue de la mort et des misères, mais la chasse, qui nous en détourne, nous en garantit. » (Pensées, éd. Brunschvicg, fragment 139). Fustiger le divertissement et le croire déraisonnable est une erreur de jugement : les hommes ne peuvent pas s’en passer puisque le constat de leur condition leur est insupportable. Il est humain de toujours tâcher d’oublier sa finitude.

Le péché originel

Le péché originel est une doctrine de la théologie chrétienne qui décrit l'état dégradé de l'humanité depuis la Chute, c'est-à-dire la désobéissance d'Adam et Eve, premiers êtres humains créés par Dieu : dans le Livre de la Genèse, ils mangent le fruit défendu de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Cette rupture affecte tous leurs descendants qui sont souillés et ne peuvent, par eux-mêmes, être relevés. Par sa mort, Jésus-Christ a obtenu la réconciliation avec Dieu qui est accessible à tout homme par le baptême. L'expression « péché originel » ne figure nulle part dans la Bible, mais la doctrine s'appuie sur plusieurs passages des deux Testaments. C'est Augustin d'Hippone, à la fin du IVème siècle, qui invente le terme. Cette doctrine est extrêmement débattue depuis ses origines. Le péché originel est décrit de différentes façons dans les différentes confessions, depuis une simple déficience (comme dans l’islam), ou une tendance au péché qui exclut toute idée de culpabilité a priori, jusqu'à l'idée d'une nature humaine totalement corrompue et d'une véritable culpabilité collective (comme chez les calvinistes).

Le pour soi se constitue par la pratique

Selon Hegel, l’homme n’est pas une identité spontanée. Il doit la conquérir dans le temps et par l'action. La connaissance théorique de soi par l'introspection ne suffit pas. La transformation de la nature (dans les choses et en lui-même) fait advenir la conscience qu'a l'homme de lui-même, par le jeu, le travail, l’art. Cette transformation lui permet de se se construire comme sujet libre, c’est-à-dire capable d’imposer sa marque aux choses extérieures. 

Réforme du savoir et méthode chez Descartes

 

Constatant le caractère souvent approximatif et parfois fautif du savoir hérité des Anciens et reçu de la Bible, Descartes entreprend, comme d’autres hommes de son siècle, une réforme du savoir fondé sur des observations nouvelles et des théories en rupture avec celles considérées jusqu’alors comme indiscutables. Descartes cherche pour cela une méthode universelle (un chemin certain conduisant l’esprit jusqu’à la vérité) aspirant à étendre la certitude mathématique à l'ensemble du savoir, et espérant ainsi fonder une mathesis universalis (une mathématique universelle), puisque l'univers dans son ensemble (mis à part l'esprit qui est d'une autre nature que le corps) est susceptible d'une interprétation mathématique. Tous les phénomènes doivent pouvoir s'expliquer par des raisons mathématiques, c'est-à-dire par des figures et des mouvements conformément à des lois. La rupture   est ainsi entérinée avec Aristote et le mécanisme remplace le finalisme. Comparant (dans Les Principes de la philosophie) le savoir à un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique et les branches la médecine, la mécanique et la morale, il entreprend de reconstruire l’édifice de la connaissance en suivant les quatre règles de la méthode : l’évidence, l’analyse, l’ordre et le dénombrement.

Mécanisme et finalisme

 

Le finalisme est un système épistémologique qui suppose l’explication des phénomènes par les causes finales. Le mécanisme est un système épistémologique qui repose sur le principe du déterminisme (principe selon lequel, dans la nature, il n’y a pas d’effet sans cause ni de cause sans effet) et suppose l’explication des phénomènes par les seules causes efficientes, premières chronologiquement mais aussi logiquement. Le XVIIème siècle rompt avec l’héritage aristotélicien et abandonne l’explication par les causes finales en science. La science répond désormais au comment et la métaphysique au pourquoi des choses : le divorce est entériné entre ces deux activités intellectuelles.

Science et métaphysique

Les sciences ont pour objet des phénomènes obéissant à des lois prouvées par des expériences, tandis que la métaphysique a pour objet tout ce qui est au-delà de la nature (méta, au-delà et phusis, la nature, en grec) et dont on ne peut pas faire l'expérience sensible. Les objets de la science appartiennent au monde sensible, ceux de la métaphysique au monde intelligible. On peut prouver ce qu'on affirme en physique, mais en métaphysique, on doit se contenter de faire des hypothèses et d'y croire. Croire c'est adhérer sans preuve tandis que savoir c'est connaître un objet sous l'autorité de la preuve. La métaphysique pose un absolu auquel on adhère sans pouvoir le prouver puisque la preuve est réservée au domaine de la science où on peut savoir.

 

Grandeurs d'établissement et grandeurs naturelles selon Pascal.

 

Les grandeurs naturelles sont des qualités innées et signent des différences entre les hommes qui peuvent être d'ordre physique, intellectuel, culturel ou moral. On doit l’estime aux grandeurs naturelles, et devant elles, on s'incline spontanément. Les grandeurs d'établissement, qui correspondent aux différents rangs sociaux, ont été établies par la société et sont donc artificielles et conventionnelles : par exemple certains sont rois, d'autres sont leurs valets. Aux grandeurs d'établissement on doit non pas l'estime mais le respect. Pascal remarque qu'il y a trois façons d'envisager ces grandeurs. Tout d'abord la façon du peuple (autrement dit du plus grand nombre), qui a tendance à confondre la nature et l'établissement et porte une considération identique à ces deux formes de grandeurs. Ensuite le demi-habile (à moitié intelligent), qui a compris la différence entre la nature et établissement mais pour qui c’est l'occasion de mépriser l'établissement. Enfin l'habile qui a compris cette différence mais a compris en plus que la paix sociale est le souverain bien et exige le respect des grandeurs d’établissement. On peut donc dire, avec Pascal, que « la vie est une illusion perpétuelle », ce qui signifie que les hommes sont, en société, comme des personnages de théâtre jouant une pièce dans laquelle ils sont distribués dans différents rôles. Il ne s’agit pas là d’une dénonciation mais d’un constat : nous ne pouvons pas faire autrement que de respecter les conventions de l’illusion.

Dans quelle mesure peut-on dire que la bienséance prépare la bienveillance ?

 

Même si la politesse peut être considérée comme une hypocrisie du fait qu’elle relève de l’apparence, elle n’est pas pour autant un encombrement dans la mesure où elle garantit l’harmonie sociale par le respect des grandeurs d’établissement. Mais plus fondamentalement, la bienséance prépare la bienveillance. A force de répéter des actes polis, on peut supposer que la disposition intérieure de l’individu en est changée en bien. La politesse, comme un rôle devenu naturel à force d’entraînement et de répétition, rend les hommes moraux c'est-à-dire bons. Les hommes ne naissent pas bons ou mauvais mais le deviennent. C’est sur cet argument d’une neutralité morale première susceptible d’être orientée vers le bien comme vers le mal que repose l’idée qu’il est nécessaire de s’entraîner à être bon pour le devenir. L’éducation des enfants prouve assez le caractère propédeutique à la moralité de la politesse. « Soit sage, gentil, aimable », dit-on aux enfants : autant de vertus morales.

Dubito ergo cogito ergo sum

 

Cette phrase signifie « je doute donc je pense donc je suis ». A la recherche d’un fondement indubitable à la science, Descartes le trouve dans le doute lui-même dans la mesure où il est logiquement contradictoire de douter du doute. Dès lors, si je doute, et parce que le doute est une modalité de la pensée, c’est que je pense, et si je pense, c’est que je suis, puisqu’un néant ne peut pas penser. Je suis une chose pensante (res cogitans en latin), une âme, c’est-à-dire un être dont l’essence est la pensée.

Comment connaît-on selon l’empirisme ?

 

L’empirisme considère que penser, c’est copier en composant. Au commencement il y a l’impression (une perception originelle, une sensation ou un sentiment) qui affecte le corps (entendre, voir, détester, aimer). Penser vient après cette expérience première. Les idées sont chronologiquement secondes par rapport aux impressions. Les idées naissent lorsque l’esprit s’en souvient ou réfléchit. Les idées dérivent des impressions. Hume prend l’exemple d’une montagne d’or : pour savoir ce qu’est une montagne d’or, il faut avoir vu une montagne et avoir vu de l’or. Seule l’expérience nous instruit et dès que l’esprit dépasse l’expérience, il divague. Mais il ne s’agit pas de se résigner au constat de l’impuissance de l’esprit de se départir de ses attaches sensibles. L’expérience nous enseigne au contraire l’immense pouvoir de notre imagination, doublé de notre immense capacité à croire, fondée sur l’accoutumance : même si l’expérience ne livre rien au-delà d’elle-même, l’imagination la plie à ses règles d’association et la croyance entérine les créations de l’imagination.

Quelles sont les conséquences de la théorie de la connaissance que formule l’empirisme ?


Même si l’expérience ne livre rien au-delà d’elle-même, l’imagination plie l’expérience à ses règles d’association. Nous croyons alors aux fantaisies ainsi créées. La métaphysique est le domaine de ces fantaisies hyperboliques, et Hume met en garde l’esprit humain contre cette tendance à extrapoler. Déboutant la raison de ses prétentions à comprendre le monde, le principe et la fin des choses, le scepticisme humien lui conteste également le pouvoir de nous éclairer sur son auteur : l’empirisme a donc une double conséquence : la critique du dogmatisme métaphysique, et la critique de la religion.

Qu’est-ce que le déterminisme psychologique ?

 

Freud fait l’hypothèse que la maladie mentale est une maladie de l’histoire du malade. Fort du principe du déterminisme selon lequel il ne peut y avoir d’effet sans cause, les maladies dont les troubles ne sont pas causées par des dysfonctionnements somatiques ont une origine psychologique. Le traumatisme subi est refoulé dans l’inconscient et se manifeste par le biais du symptôme. Il s’agit, pour l’analysant, guidé par le psychanalyste, de retrouver la cause traumatique de ses symptômes afin de les comprendre voire de les dompter. Notre conscience et nos représentations sont donc déterminées par notre inconscient, réservoir des pulsions et du matériau refoulé. En ce sens, la psychanalyse est l’outil d’une libération.

Anomalie et anormalité

Dans Le Normal et le pathologique, Georges Canguilhem propose de distinguer l’anomal (qui correspond à une anomalie, entendue comme simple exception statistique, sans aucune connotation péjorative) et l’anormal (qui correspond à une infraction à la norme, réduisant la qualité du fonctionnement organique optimal, voire compromettant sa viabilité). Tout jugement qui déclare un état anormal donc pathologique est un jugement normatif. Or, « en matière de normes biologiques, c'est toujours à l'individu qu'il faut se référer », c'est-à-dire que le caractère gênant, délétère, problématique de l'état concerné doit être évalué par le patient lui-même. Le médecin ne peut donc pas déclarer un individu « malade » sans l'avoir consulté en lui demandant son point de vue sur son propre état : le simple fait de présenter des marqueurs biologiques « hors-norme » (en excès ou en défaut par rapport aux valeurs de références) n'est pas, selon Canguilhem, un critère suffisant pour discriminer l'état de santé et celui de maladie. S'il existe bien un état malade, celui-ci ne peut être élevé au niveau du concept et d'une généralité universelle, philosophique. La maladie doit être rapportée au contraire à la mesure du sujet individuel où la norme ne se réfère plus à autre chose qu'une référence à elle-même, autant qu'elle peut tolérer des modifications de son environnement, sans mettre en péril le reste de cet ensemble vivant humain corporel et psychique, la norme étant ici cet ensemble justement capable ou non de modifier ses propres formes et échelles de valeurs adaptatives sans se mettre en déséquilibre. La vie ne se caractérise pas par le simple maintien des normes, elle est invention de normes pour répondre aux modifications des milieux de vie (extérieur et intérieur) dans lesquels un corps se situe. Canguilhem appelle « normativité » cette capacité à inventer des normes. La vie se définit donc comme une activité normative, comme ce qui est capable de transformer les normes, d'en instituer de nouvelles ; la vie est création, nouveauté, altérité.

Qu’est-ce que le déterminisme historique ?

 

Bien souvent, l’homme croit penser librement. Le déterminisme historique, dont Marx est un des représentants, refuse cette idée en affirmant que la conscience est déterminée socialement, historiquement et économiquement. Les superstructures mentales émanent des infrastructures matérielles et sont expliquées par elles. Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Notre point de vue est toujours orienté par les éléments matériels de notre existence et l’idéologie modèle les représentations, les hommes étant à la fois les victimes et les complices d’un système de pensée qu’ils ne choisissent pas. C’est l’avancement dans le développement de la production matérielle qui modifie les idées, les façons de penser. En ce sens, la conscience humaine n’est pas autonome et rares sont les hommes capables de comprendre, de mettre à distance et de maîtriser leur façon de penser.

L’école, outil de reproduction sociale

 

Pierre Bourdieu a analysé les mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales et montré l’importance des facteurs culturels et symboliques de cette reproduction. L’explication économique ne suffit pas à expliquer les hiérarchies. Les agents en position de domination imposent  leurs représentations culturelles et symboliques par le moyen de ce que Bourdieu appelle la « violence symbolique », qui consiste à les faire admettre comme légitimes en cachant leur caractère arbitraire. Un des moyens de cette violence symbolique, et donc de la perpétuation de la domination, est l’école, qui reproduit et légitime les hiérarchies sociales. Bourdieu le montre dans La Reproduction, coécrit avec Jean-Claude Passeron (1970).

L’école transmet des savoirs, des valeurs et des codes qui sont proches de ceux de la classe dominante, c’est-à-dire de la bourgeoisie. Les enfants des bourgeois disposent donc d’un capital culturel qui leur permet de s’adapter plus facilement aux exigences scolaires et ainsi de mieux réussir leurs études. Cela permet la légitimation de la reproduction sociale, car la cause de la réussite scolaire des membres de la classe dominante demeure masquée, tandis que leur accession, grâce à leurs diplômes, à des positions sociales dominantes, est légitimée par ces diplômes.

Ce processus de légitimation est entretenu par deux croyances fondamentales. D’une part, l’école est considérée comme neutre et ses savoirs comme pleinement indépendants. L’école n’est donc pas perçue comme inculquant un arbitraire culturel proche de celui de la bourgeoisie, ce qui rend ses classements légitimes. D’autre part, l’échec ou la réussite scolaires sont, le plus souvent, considérés comme des dons, renvoyant à la nature des individus. L’échec scolaire s’explique donc socialement mais il est perçu par celui qui le subit comme un échec personnel, le renvoyant à ses insuffisances, comme son manque d’intelligence, par exemple, ou son manque de goût pour l’effort. Cette croyance en un don possédé par certains et pas par d’autres, joue un  rôle déterminant dans l’acceptation par les individus de leur destin scolaire et du destin social qui en découle. « Les individus des classes défavorisées ont la possibilité formelle de visiter les musées ou de passer les plus hauts concours, mais ils n’ont pas la possibilité réelle d’user de cette possibilité formelle. »

Etre libre, c’est se savoir déterminé.


Le libre arbitre considéré comme liberté absolue est une illusion. Comme tous les phénomènes naturels, l’homme n’échappe pas au déterminisme universel, il n’est pas « un empire dans un empire ». Dans la Lettre LVIII à Schuller et dans L’Ethique, Spinoza compare l’homme à une pierre pour ruiner cette illusion. Quand on la pousse la pierre, elle est soumise nécessairement aux lois du mouvement. Si la pierre venait à penser, elle aurait l’illusion d’être libre puisqu’elle ignore les causes qui la déterminent. Il en est de même pour l’homme. L’homme croit être libre car il ignore les forces qui le poussent. Mais contrairement aux autres êtres vivants, l’homme est doté d’une conscience et il peut penser. Il est donc capable de se savoir déterminé et là réside sa liberté : l’homme est donc à la fois déterminé et capable de se libérer par la connaissance de ces déterminations. Le travail de l’intelligence soutenu par la connaissance de soi et la culture est donc le premier pas de notre liberté.

La servitude volontaire : résumé utile ici.

« Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. »


« Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien » fait dire Platon à Socrate, indiquant ainsi la position intermédiaire qu’occupe la philosophie entre le savoir et l’ignorance. Socrate déclare ne rien savoir, ce qui signifie qu’il renonce à l’omniscience, inaccessible à l’être humain. Mais il a conscience de son ignorance, ce qui est déjà un remarquable acquis par rapport à ceux qui ne se posent pas de questions et sont enfermés dans les réponses toutes faites des préjugés. Entre le savoir et l’ignorance ignorée, Socrate incarne donc la position de l’ignorance sue, consciente de ses limites et de ses enjeux. La chose que sait le philosophe est qu'il y a des choses à savoir et que lui ne saura jamais tout. La démarche socratique est donc humble en son fond et profonde en sa recherche, puisqu'il s'agit à la fois d'accepter son ignorance, et de chercher l'essence des choses. La quête philosophique requiert de ce fait de la patience, mais non point du repos et se caractérise comme activité de la question. Le philosophe occupe une situation d'inquiétude intellectuelle qui ne présente pas de réponse dogmatique aux questions qu'il pose.

1750, 1754, 1762, les trois grandes étapes de la philosophie de Rousseau.

 

En 1750, Rousseau rédige sa première œuvre importante, le Discours sur les sciences et les arts. Il y défend la thèse de l’antagonisme entre la civilisation et la vertu. S’appuyant sur des exemples historiques (corruption d’Athènes / pureté de Sparte), il dénonce la perversion de son siècle et la corrélation entre le développement du luxe et des techniques et la dépravation des mœurs. En 1754, Rousseau rédige un second discours, le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, où il entreprend la recherche généalogique des causes de la perversion. Il y fait l’hypothèse d’un homme primitif « à l’état de nature », antérieur à l’institution de la société. Seul et indépendant au sein d’une nature prodigue, « l’homme de la nature » se passe de ses semblables. Mais lorsque vient le temps du déséquilibre entre les ressources naturelles et les besoins humains, l’espèce est contrainte à l’association et autrui devient indispensable. L’homme devient « homme de l’homme », sans aucune possibilité de retour à l’état naturel : commence alors la corruption des cœurs et des mœurs. En 1762, L’Emile et Du Contrat social  proposent deux solutions pour réformer cette situation : la première est individuelle et pédagogique, la seconde est collective et politique. Individuellement, Rousseau préconise une éducation soumise à la rigueur de la vertu. Politiquement, il préconise que les hommes s’associent sous l’autorité d’un contrat garantissant l’égalité et la liberté entre les citoyens.

Tripartition de l’âme chez Platon (voir texte ici)

 

L’âme comporte trois facul­tés : épithu­mia (ἐπιθυμία), « l’ap­pé­tit », la partie dési­rante, les envies du bas-ventre, thumos (θυμός), la partie iras­cible, le niveau agres­sif, le courage, les passions, et logis­ti­kon (λογιστικόν), la partie ration­nelle, la pensée, qui seule est immor­telle (mythe de l’at­te­lage et du cocher dans le Phèdre). La pensée de Platon a évolué. Dans le Phédon, Platon admet une âme ; dans La Répu­blique, il admet trois parties de l’âme. Dans le Phèdre il fait une présen­ta­tion imagée de l’âme sous la figure d’un atte­lage avec un cheval noir qui repré­sente la partie dési­rante, un cheval blanc qui repré­sente la partie iras­cible, et le cocher qui repré­sente l’es­prit ; Platon, dans le Timée, à la fin de sa vie, admet trois âmes. La justice est affaire d’équilibre : l’âme est juste quand le cocher commande aux deux chevaux. Idem, la cité est juste quand le philosophe règne sur les gardiens (maintien de l’ordre) qui commandent aux laboureurs (forces productives).

Sophistique et philosophie

Un sophiste est un professeur de rhétorique. Au Vème siècle avant JC, dans la démocratie athénienne, les sophistes apprenaient aux jeunes Athéniens désireux de faire de la politique à établir des discours qui puissent plaire et convaincre le peuple afin de se faire élire. Ils produisent des discours faciles à comprendre et accessibles à tous. Le sophiste présente comme vrai le vraisemblable et ne se souci que de l’utilité, tandis que le philosophe (philein, en grec, désirer avec ardeur, et sophia, sagesse et savoir) recherche la vérité même sans souci de plaire et sans souci du pouvoir. On peut confondre sophistique et philosophie car ces deux activités répondent aux questions sur la nature humaine et reposent sur une maîtrise du discours. Néanmoins le philosophe veut découvrir l'essence des choses alors que les sophistes jouent avec les apparences, considérant que l’esprit ne peut pas connaître les choses en elles-mêmes, au-delà de leur variabilité sensible. Platon reproche aux sophistes d'utiliser le discours comme une arme au service du pouvoir alors que la recherche de la vérité ne peut se satisfaire d'un discours incertain et encore moins d'un propos qui ne vise que l'efficacité.

Le discours d'Alcibiade dans Le Banquet (voir texte ici)

Le discours d’Alcibiade, dans Le Banquet, est un témoignage de la puissance incarnée et fécondante du désir qui se manifeste à travers l'éloge de Socrate. Mais cette fécondation des âmes attachées aux biens matériels n'est pas aisée, comme l'atteste l'attitude ambivalente d’Alcibiade envers Socrate. Elle peut produire en l'homme des illuminations, mais aussi des résistances, des souffrances, qui le conduisent à condamner la philosophie. Tour à tour Alcibiade vénère Socrate pour sa vertu et l'accuse de vouloir duper la jeunesse pour la rendre dépendante de lui. Il le compare à un sophiste qui séduit la foule et attire à lui par la beauté de ses discours. Mais parallèlement il révèle la véritable nature de Socrate qui, contrairement aux sophistes, se moque de la richesse et des honneurs pour ne chercher qu'à élever l'âme. La rancœur et la colère qu'Alcibiade éprouve contre Socrate témoignent du sentiment d'impuissance qu'il ressent devant son indigence spirituelle, lui qui estimait être pourvu d'une grande beauté. Des sentiments doubles occupent alors son esprit. Il croit que Socrate se moque de lui en tournant en dérision l'estime qu'il a de lui-même et des biens qu'il possède, mais, ce faisant, Socrate ne fait que lui indiquer la voie de la véritable initiation à l'amour qui est l'amour du Bien et du Beau en soi et non l'amour des choses matérielles. Apparaît la différence entre le discours sophistique et le discours philosophique. Le premier séduit car il vise à toucher la sensibilité pour provoquer l'adhésion. Il a pour but de substituer à la vérité un ensemble d'arguments dont la force dépendra uniquement de la forme de leur agencement (beauté esthétique illusoire) et de leur impact sur l'affectivité de l'auditeur. La vérité universelle disparaît alors pour faire place à des vérités individuelles, ne valant qu'au moment du discours et pour un auditeur singulier, en accord avec sa sensibilité du moment et ses intérêts propres. Le discours de Socrate n'est pas sophistique puisque qu'il ne séduit pas ponctuellement un seul individu mais tous ceux qui peuvent l'entendre. Celui-ci ne veut pas rendre dépendants ceux qui l'écoutent, il ne veut pas qu'il soit amoureux de lui : au contraire il veut leur révéler une forme de beauté qu'ils portent en eux de toute éternité. Socrate est conscient de son ignorance, il sait qu'il ne sait rien. Il cherche donc moins à communiquer un savoir, qu'à éveiller une réflexion sur cette ignorance commune, réflexion qui peut conduire vers une exigence plus grande et pousser les hommes à se connaître eux-mêmes.

La profession de foi du vicaire savoyard

 

Dans L'Emile ou De l'éducation (1762), Rousseau expose sa théorie éducative. Ce traité est composé de cinq livres : les quatre premiers correspondent chacun à un âge de la jeunesse et le dernier porte plus spécifiquement sur l'éducation féminine. De manière générale, Rousseau considère que l'éducation doit tout faire pour préserver l’inclination initiale à la bonté : éduquer un enfant revient à le protéger de la mauvaise influence de la société et à laisser faire la nature. L'enfant doit apprendre par lui-même de ses erreurs et son précepteur éviter d'intervenir directement en lui donnant la leçon.

La « Profession de foi du vicaire savoyard » est situé au Livre IV. Une profession de foi est la déclaration publique d'une croyance. Le vicaire savoyard renseigne le précepteur d'Emile sur les véritables principes moraux et religieux, c'est-à-dire ceux de Rousseau. Sa conception est celle de la religion naturelle, chaque homme ayant naturellement en lui le sentiment intérieur du divin, il n'a pas besoin d'autre chose que lui-même pour connaître Dieu. Ainsi, Rousseau s'en prend à la fois aux religions révélées, auxquelles il reproche de s'interposer entre les hommes et Dieu, au matérialisme et à l'athéisme. Il affirme, par la même occasion, la prédominance du sentiment sur la raison en matière de morale.  Selon Rousseau, il existe en l’homme « un principe inné de justice et de vertu » qui se trouve « au fond des âmes » et qu'il appelle « conscience ». Nous ressentons spontanément ce qui est de l'ordre du bien et du mal. Le sentiment est premier, la raison seconde. Le sentiment est une instance innée et universelle alors que la raison est une faculté acquise et inégalement répartie entre les hommes, en fonction de l'âge et de l'éducation. La conscience morale ne réfléchit pas, elle ressent.  Il convient donc de célébrer cette conscience morale qui s'adresse à tous et Rousseau le fait sur le mode incantatoire : « Conscience ! Conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ». Cette conscience est, tout d'abord, un « instinct divin ». L'instinct est normalement le propre de l'animal, mais comme celui-ci est justement ce qui élève l'humanité au-dessus du règne animal, il la rapproche de la divinité. Cette conscience, ensuite, s'adresse à l'homme avec une « immortelle et céleste voix » parce qu'elle transcende toutes les époques et tous les lieux. La conscience fonctionne comme un appel en provenance du divin et résonne comme une invitation à être respectueux du bien. Elle sert de « guide » à l'humanité et puisqu'elle est un « juge infaillible du bien et du mal », elle permet, y compris à l'homme le plus ignorant (le moins doué par la raison), de savoir si ce qu'il fait est bien ou mal. Reste que cette conscience « ne nous parle plus, elle ne nous répond plus » lorsque tout conspire à la faire taire dans une société où règnent les faux-semblants, la vilénie, le mensonge et les masques. Comment l’aider à vaincre sa timidité ? Par une pédagogie et une organisation politique renouvelées : la même année, Rousseau publie L’Emile et Du Contrat social.

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L'allégorie de la caverne

Des hommes sont enchaînés dans une demeure souterraine en forme de caverne. Ils le sont depuis leur naissance, de telle sorte qu'ils n'ont jamais vu directement la source de la lumière du jour, c'est-à-dire le soleil. Ainsi, des choses et d'eux-mêmes, ils ne connaissent que les ombres projetées sur les murs de leur caverne par un feu allumé derrière eux. Des sons, ils ne connaissent que les échos. L'un d'eux est libéré de ses chaînes et accompagné de force vers la sortie. Il est alors cruellement ébloui par une lumière qu'il n'a pas l'habitude de supporter et le fait souffrir. Il résiste d’abord puis s’accoutume progressivement. L'homme peut alors prendre conscience de sa condition antérieure. Mais il doit se faire violence, et retourner dans la caverne, auprès de ses semblables, pour leur apporter sa connaissance du monde supérieur. Ses anciens compagnons le reçoivent mal, refusent de le croire et finissent par le tuer.

La théorie des Idées

 

Le système philosophique de Platon, appelé « théorie des Idées » est un idéalisme. Il suppose qu’il existe un monde intelligible (accessible seulement par l’esprit) composé d’Idées, ou essences, qui sont immuables, éternelles, immatérielles, incréées, et sont les archétypes de la réalité sensible à laquelle elles servent de modèles. La théorie des Idées est un dualisme objectif : pour Platon le seul monde véritable est ce monde des Idées qui existe indépendamment de l’esprit qui le connaît. Le monde sensible n’est qu’une imitation dégradée du monde intelligible, comme la caverne est l’ombre du monde visible dans L’Allégorie de la caverne, exposée par Platon au livre VII de La République.

La lettre et l'esprit

 

La lettre et l'esprit de la loi désigne un débat de philosophie du droit. Il s'agit de deux manières de concevoir le respect dû à la loi, qu'elle soit civile ou religieuse. L'obéissance à la lettre de la loi signifie adopter une position littérale, au risque de ne pas saisir l'intention des auteurs de la loi et ainsi d'agir contrairement à leur volonté. A l'inverse, l'obéissance à l'esprit de la loi peut entrer en conflit avec le texte interprété au sens premier, ou donner une trop grande latitude au juge. La controverse entre le respect de la lettre de la loi ou celui de son esprit fait référence à l'attitude que le juge (pour les lois civiles) ou tout un chacun (pour les lois que l'on se donne à soi-même) doit suivre face à un texte. Respecter la lettre de loi signifie que l'on applique une lecture littérale, au mot par mot, au texte, sans chercher à saisir l'intention des auteurs ou la raison qui les a conduits à écrire ce qui est écrit. Tout système légal possède des vides juridiques, c'est-à-dire des situations qui ne sont pas couvertes par le droit du fait de failles dans les textes légaux. Le juge peut alors invoquer l'esprit de la loi pour juger en extrapolant la loi. Le recours à l'esprit de la loi peut ainsi présenter un danger juridique, car il rend possible pour le juge de se jouer du système : sous le prétexte de suivre l'esprit de la loi, il peut tordre la loi et lui faire dire jusqu'à l'inverse de l'intention de ses créateurs. L'application littérale d'une loi en faisant abstraction de l'intention qui a présidé à sa création peut également permettre des décisions contraires à l'esprit de la loi. Le recours à l'esprit de la loi peut à l'inverse être utilisé pour pallier une erreur dans une loi qui l'a conduit à être incohérente avec la volonté de ses créateurs. Thomas d'Aquin réfléchit, dans la Somme théologique, au rapport entre le législateur, la loi et son esprit. Il soutient que le législateur, lorsqu'il rédige les lois, a toujours une certaine conception en tête et vise toujours au bien. Il reconnaît qu'il est utile de faire appel à l'esprit de la loi pour combler des vides juridiques, car la loi est générale et, en cela, imprécise.

 

Justice et force chez Pascal

 

Pascal n’est ni sceptique, ni ironique. Nous ignorons l’essence du juste (puisque nous venons après la chute et avant le Jugement dernier), mais la justice ne se réduit pas au droit. Le point de vue du sceptique voit plus loin que le peuple et déjoue les mécanismes du pouvoir en montrant comment ils reposent sur l'illusion. Mais ce n'est pas le point de vue du chrétien, qui dépasse le scepticisme. Le droit tire sa naissance de l'impuissance de la pure justice (celle-ci n'étant plus suffisamment gravée dans le cœur des hommes) et de la violence de la force quand elle se moque de la justice. Force et justice appartiennent à deux ordres incommensurables, à ne pas confondre. Mais ce sont deux prédicats possibles du pouvoir. Si la force finit par primer, c'est parce qu'elle est palpable et maniable. Et la justice, du point de vue du pouvoir politique, devient une forme juridique dont peut se prévaloir la force coercitive. C'est la seule relation possible entre la justice et la force, car fortifier la justice est impossible. La justice en effet est sujette à dispute, du fait qu'elle est une qualité spirituelle dont le contenu peut sensiblement varier selon les individus. Ce qui met fin à toute contestation, c'est de justifier le fort, car la politique est une affaire d'ordre, un terme aux disputes : lorsque les hommes ne possèdent pas de vérité, il faut qu'ils s'accordent sur une erreur commune, puisque la paix sociale est le souverain bien.

La loi du talion

 

Talion vient du latin talis, qui signifie « tel ». La loi du talion désigne le châtiment de la loi mosaïque (la loi de Moïse), qui consiste à imposer à l’agresseur le même traitement que celui qu’il a fait subir à autrui. Sa formulation est célèbre : « œil pour œil, dent pour dent ». Il y avait là un ordre juridique qui réglementait la vengeance : celle-ci, dans les temps anciens, ne connaissait pas de limites. La loi du talion établissait une juste proportion entre l’offense ou le crime et sa punition. Avec l’évolution des mœurs, cet usage même parut barbare. Au temps où est écrit le livre des Proverbes, après l’Exil (VIème siècle avant J.C.), les sages recommandent de traiter les ennemis avec bienveillance : « Yahvé te le revaudra. » Le Christ abolira solennellement la loi du talion en recommandant jusqu’au paradoxe la non-violence, le pardon et l’amour des ennemis. Paul rappelle à son tour qu’il faut rendre le bien pour le mal et laisser agir le Seigneur. (d’après le Dictionnaire de la Bible de André-Marie Gérard, collection Bouquins)

La prosopopée des lois

 

Pour Platon, ne pas obéir aux lois revient à commettre une injustice. Dans le Criton, Socrate montre qu’il vaut mieux subir une injustice que la commettre. Socrate a été condamné à mort et son ami Criton lui offre la possibilité de s’enfuir mais Socrate refuse, alors qu’il est injustement condamné. Pour Socrate, il ne faut pas répondre par l’injustice à l’injustice. Il est nécessaire de respecter les lois et les décisions de justice. C’est ce respect qui est au fondement de tout droit. Toute remise en question de ce principe risque de produire la ruine de la cité, de l’harmonie sociale et politique. La condamnation de Socrate est injuste mais légale. Si Socrate fait le choix de s’évader, il se met dans l’illégalité et brise le contrat tacite qu’il y avait avec les lois. La prosopopée des lois souligne que le respect des règles juridiques est la seule garantie de l’ordre social. Toute justification de la désobéissance risquerait de conduire à la ruine de la cité en ses principes. Quand bien même il y aurait un décalage entre le légal et le légitime, il importe de ne pas de transgresser la loi. Mais, il est possible de la faire changer pour qu’elle redevienne conforme à un idéal de justice en s’acquittant de ses devoirs citoyens, par le débat et le vote.

 

Mieux vaut subir l’injustice que la commettre

 

Dans le Gorgias, Polos insiste sur le fait qu’un homme peut être injuste et heureux s’il demeure impuni et jouit sans limites de son pouvoir. Comment un tel homme pourrait-il être malheureux ? Socrate répond qu’il l’est nécessairement car il ne fait pas ce qui est bon pour lui mais travaille involontairement à sa propre perte en se trompant d’objectif. Son pouvoir n’est qu’une illusion. Le philosophe va plus loin : mieux vaut subir l’injustice que de la commettre. En effet, du point de vue moral, on distingue les choses agréables et utiles qui sont aussi les choses belles et de l’autre, les choses douloureuses et inutiles qui sont mauvaises. Polos concède à Socrate que commettre l’injustice se situe du côté des choses laides. Or, aucun homme ne peut souhaiter se livrer volontairement à une action laide au risque de finir par ressembler à son action et de devenir malheureux. Par suite, on conçoit que pour réparer l’injustice commise, il faille être châtié de manière juste. Ainsi, le méchant gagne à être puni pour ses fautes. Ne pas être puni pour une injustice est la pire chose qui puisse arriver : n’en déplaise à Polos, mieux vaut être emprisonné, torturé voire tué, que gouverner en tyran qui fait ce qui lui plaît et non ce qui est bon.

Conditions de la révolte selon Spinoza

 

Spinoza défend la thèse selon laquelle chacun est libre de penser et de s’exprimer publiquement dans la société, à condition de respecter les institutions publiques et de ne pas enfreindre les lois qui assurent la paix civile. Tout propos est recevable à condition qu’il ne s’accompagne pas d’un appel à la sédition. Agir en excellent citoyen n’est pas suivre aveuglement les lois de l’Etat si on les considère comme injustes ; il est possible de critiquer les lois, mais cette critique doit se faire selon des modalités strictes. La critique des lois exige d’abord le strict respect de la raison et de ses règles. La critique doit se faire avec ordre et méthode, dans les cadres d’une démonstration dont la justesse garantit la justice. Critiquer l’Etat ne doit en outre pas se faire dans le secret et la dissimulation mais au vu et au su de tous. Toute critique doit donc s’accompagner de sa publicité et tout critique doit soumettre son contenu à l’Etat, dans la mesure où c’est l’Etat qui fait la loi. Cette exigence est à la fois une exigence d’efficacité et d’honnêteté : proposer une modification à qui peut modifier, c’est rendre cette modification possible et réalisable, et c’est également éviter la constitution de factions séditieuses qui ne peuvent que ruiner la paix civile et le bien-être des citoyens. Enfin tout critique doit dissocier réflexion et action et ne pas prendre les armes en même temps qu’il prend la parole. Il faut penser et parler, mais attendre calmement que ceux qui doivent agir (les instances étatiques) agissent.

Définition politique de l’homme selon Aristote


Dans Les Politiques, Aristote affirme que l’homme est par nature un « animal politique » (zôon politikon), c’est-à-dire un vivant dont la différence spécifique est le fait de vivre avec ses semblables dans une cité. Etre politique ne signifie pas seulement vivre en groupe ou en meute : à cet égard, il y a une différence de nature et pas seulement de degré entre les animaux grégaires et l’homme. Etre politique signifie vivre ensemble selon un principe d’ordre qui est la discrimination du juste et de l’injuste. A la différence des animaux, capables de faire la différence entre le plaisir et la douleur, l’homme est le seul à faire la différence entre le bien et le mal. Ce pourquoi il est doté de la parole (zôon logon ekhon) qui est le moyen de cette discrimination. Si l’homme possède la parole, c’est donc pour énoncer les valeurs de la communauté humaine. Selon un strict enchaînement finaliste, la parole est en vue de la vie politique, elle-même en vue du bien commun.

L’insociable sociabilité : définir, expliquer

 

Selon Kant, l’homme se caractérise par son « insociable sociabilité ». Il présente les caractéristiques de ce paradoxe dans L’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique. Les hommes sont naturellement sociables (penchant à l’association) et en même temps naturellement insociables (leur égoïsme foncier les pousse à l’isolement). Schopenhauer développe une idée semblable dans les Parerga et paralipomena en comparant la société humaine à un troupeau de porcs-épics devant trouver la bonne distance pour profiter de leur chaleur mutuelle et éviter la blessure de leurs piquants. Selon Kant, l’antagonisme entre les individus existe pour la société et celle-ci ne peut exister que par cet antagonisme. La nature joue de l’émulation entre les hommes : la société n’est pas le lieu d’apaisement des conflits mais le lieu de leur discipline. L’insociabilité, par le dynamisme incessant qu’elle produit permet le développement des sciences et des arts et les progrès de la culture. Elle est donc un mal en vue d’un bien, qui est celui de l’espèce et qui dépasse les aspirations et les intérêts individuels.

Les théories du contrat


Les théories du contrat social sont des théories de philosophie politique qui pensent l'origine de l'Etat dans une convention originaire entre les humains, par laquelle ceux-ci renoncent à une partie de leurs libertés, ou droits naturels, en échange de lois garantissant la perpétuation du corps social. L'idée d'un contrat social pose celle d'un état de nature, préexistant à toute société organisée. Cet état de nature ne correspond nullement à une réalité historique précédant l'instauration des lois, mais à l'état théorique de l'humanité lorsque soustraite à toute loi. Le contrat (ou pacte) social est alors pensé comme un pacte librement établi par la communauté des humains dans le but d'établir une société organisée et hiérarchisée. Hugo Grotius est le premier, dans l'histoire de la philosophie politique, à consacrer une part importante de sa réflexion à la définition du contrat social. Les grands théoriciens de ce concept demeurent Thomas Hobbes et John Locke et Jean-Jacques Rousseau.
La conception hobbesienne du contrat social, présentée dans le Léviathan, s’inscrit dans une logique sécuritaire. L’état de nature est défini comme une « guerre de tous contre tous » où « l’homme est un loup pour l’homme » et dans laquelle chacun, guidé par son instinct de conservation, cherche à préserver sa vie. Le contrat social intervient donc pour assurer la sécurité, c’est-à-dire la vie de chacun, en aliénant les libertés individuelles. L’Etat rompt avec l’état de nature en restreignant les droits de chacun. Hobbes prévoit toutefois un droit de résistance aux abus de l’Etat, lorsque ce dernier met en péril la vie de ses sujets. La vie peut être invoquée comme principe supérieur à la valeur du contrat, car c’est pour sa sauvegarde que l’Etat a été instauré.
Locke formule sa théorie du contrat social dans le Second Traité du gouvernement civil, d’après une logique libérale. L’état de nature est caractérisé selon lui par les droits naturels que sont la liberté individuelle et la propriété privée, chacun voulant préserver sa liberté et ses biens. Le contrat social intervient pour garantir ces droits naturels, pour assurer leur sauvegarde. L’Etat est donc instauré pour garantir l’état de nature (caractérisé par la jouissance par tous de leurs droits naturels) en lui donnant une sanction légale. Locke prévoit un droit de résistance aux abus de l’Etat, lorsqu’il met en péril la liberté et la propriété qu’il doit sauvegarder. Comme la vie chez Hobbes, la liberté et la propriété peuvent être invoquées dans l’Etat lockéen car le contrat social vise justement à leur sauvegarde. On retrouve chez Locke l'abandon de la volonté de tous à un certain nombre d'instances chargées d'organiser la vie : l'exécutif (qui comprend également le pouvoir judiciaire), le législatif et le fédératif (qui correspondrait aujourd'hui aux affaires extérieures). Le contrat lockéen est établi pour diminuer les conflits et non pour établir la paix ou le bonheur comme dans le contrat social de Hobbes.
Le contrat social, tel qu'il est théorisé dans Du Contrat social, a pour but de rendre l’homme souverain, et d’engager chacun à abandonner son intérêt personnel pour suivre l’intérêt général. L’Etat est donc créé pour rompre avec l’état de nature, en chargeant la communauté des humains de son propre bien-être. Le contrat social rousseauiste est davantage proche du contrat hobbesien en ce qu’il vise lui aussi à rompre avec l’état de nature, mais à la différence de Hobbes comme de Locke, le contrat social rousseauiste ne charge pas un tiers de la sauvegarde de la vie ou de la liberté et de la propriété de chacun, mais charge les citoyens eux-mêmes de cette sauvegarde par le principe de la volonté générale. Le contrat rousseauiste est un pacte d’essence démocrate et égalitaire : le contrat social n’institue pas un quelconque monarque, mais investit le peuple de sa propre souveraineté.

Que doit-on faire selon Kant ?

 

L’expérience n’est pas instructive en morale : il n’y a pas d’exemple certain d’une action réalisée par devoir et non pas seulement conformément au devoir. Les lois de notre volonté ne dérivant pas de l’expérience (ce qui ne vaut que de façon contingente ne peut pas valoir nécessairement), elles tirent donc leur origine a priori d’une raison pure pratique. La contrainte rationnelle de la loi s’impose à la volonté sous la forme du commandement : la loi objective et générale contraint notre imperfection subjective. Tous les impératifs du devoir ont pour principe l’impératif catégorique : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » (Fondements de la métaphysique des mœurs – deuxième section). L’être qui a une valeur absolue, qui vaut comme fin en soi et pas seulement comme moyen est l’être humain. C’est le respect de l’être humain qui donne son contenu à la loi absolue de l’action : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de toute autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen. » (Ibid.).

Physique, logique et morale dans le stoïcisme

 

Les stoïciens divisent la philosophie en trois parties : la physique, la logique et la morale. La physique stoïcienne considère que le cosmos n’est composé que de corps. Chaque chose a une place et un sens au sein de ce vaste organisme qu’est le monde et tout est lié par une cohésion harmonieuse (la sympathie universelle). Le destin est la loi rationnelle qui règle l’armature du monde et tout est réglé par cet ordre universel auquel le sage acquiesce. La logique stoïcienne distingue la représentation, qui a pour support un objet, et l’imagination, sans support réel. Lorsque la représentation (altération de l’âme) donne de l’objet une image exacte, elle est nommée représentation compréhensive. Le processus de connaissance s’achève lorsque le sage, qui a reçu passivement les données du monde extérieur, y accorde son assentiment. Quand la représentation compréhensive  rencontre l’assentiment, il y a compréhension et quand la compréhension est inébranlable, elle prend le nom de science. La morale stoïcienne repose sur la distinction entre deux types de choses : celles qui dépendent de nous et celles qui n’en dépendent pas. Le malheur naît de l’écart entre nos possibilités et nos désirs : nous sommes malheureux lorsque nous faisons dépendre notre bonheur de ce qui ne dépend pas de nous (le destin, l’opinion des autres, etc.). L'exercice de la raison doit donc nous éclairer sur les limites de nos possibilités afin que nous fassions en sorte de ne désirer que dans ces strictes limites qui sont celles d'un renoncement tranquille. Dès lors, être heureux, c'est bel et bien satisfaire tous ses désirs si on a pris soin avant tout de limiter ces désirs à ceux  que nous savons pouvoir satisfaire. La morale stoïcienne suppose respecté ce strict enchaînement : savoir / pouvoir / vouloir.

Que peut-on connaître selon la Critique de la raison pure ?

 

Dans la Critique de la raison pure, Kant s’interroge sur la valeur des connaissances purement rationnelles, c’est-à-dire celles de la métaphysique et détermine leurs conditions de possibilité. Son but est d’assainir la métaphysique (peut-on connaître les réalités transcendantes ?) et l’exercice de la raison en général : si on connaît les conditions de possibilité de l’usage pur de la raison, on sera aussi renseigné sur son usage général et on pourra ainsi connaître les conditions et les limites de la connaissance. La sensibilité est la faculté des intuitions (saisie directe et immédiate de la réalité d’une chose) ; l’entendement est la faculté des concepts (représentation générale et abstraite d’une chose). Pour connaître un phénomène, il faut pouvoir en recevoir l’intuition et en produire le concept (« Des intuitions sans concepts sont aveugles ; des concepts sans matière sont vides. », dit Kant). Les limites de la connaissance sont donc celles du sensible. Mais ce qui ne peut pas être connu peut être pensé par la raison (faculté des principes qui guident la connaissance sans être objets de connaissance possible). « J’ai dû supprimer le savoir pour faire une place à la croyance. » dit Kant dans la préface de la seconde édition de la Critique de la raison pure. La métaphysique n’est pas une science, mais elle est une disposition naturelle de notre esprit. Les idées de la raison ne sont pas constitutives (elles ne nous font rien connaître) mais elles sont régulatrices (elles orientent notre effort pour connaître).

Le provisoire comme critère de la scientificité

 

On pourrait dire que le discours scientifique rend compte du réel est qu’est scientifique un discours vrai, c’est-à-dire adéquat à la réalité. Le problème c’est que ce discours évolue et qu’il y a une histoire des sciences comme il y a une histoire de la vérité. Il faut donc trouver un autre critère de scientificité. Le discours scientifique n’est pas un dépassement du faux par le vrai ; la science n’est pas absolument vraie (c’est là plutôt la caractéristique des discours métaphysiques) ; elle porte en elle la possibilité de son dépassement, car son engagement vis-à-vis du réel est tellement grand que le moindre élément peut venir la démentir. Les discours qui sont absolument vrais et infalsifiables ne sont pas scientifiques et la science n’a pas comme vertu essentielle la certitude absolue : ce qui est scientifique prend le risque de l’incertain. Les théories scientifiques sont donc provisoires et s’englobent progressivement.

L'homo faber

Protagoras, dans le dialogue éponyme de Platon, raconte comment, après avoir créé les êtres vivants, les Dieux chargèrent Epiméthée de leur distribuer des qualités leur permettant de résister aux « saisons de Zeus ». Seul de tous les vivants, l'homme fut excepté du partage par oubli. La race humaine était nue, « sans chaussures, ni couvertures ni armes ». L’étourdi Epiméthée, qui réfléchit après coup, fit alors appel à son frère, Prométhée (à la mètis anticipatrice), pour réparer son erreur. « Pour donner à l’homme le moyen de se conserver », Prométhée lui fit don du feu et de la connaissance des arts qu'il vola aux Dieux. Ainsi pourvus de la technique, les hommes purent fabriquer eux-mêmes les moyens de leur survie au sein d'une nature peu clémente et au milieu des animaux hostiles. Ce mythe est la meilleure illustration qui soit de la spécificité humaine : parmi tous les vivants, l'homme est le seul qui ne peut pas survivre dans la nature s'il ne la transforme à son profit, faisant de la pierre une arme, du bois un toit, de la laine ou du lin un vêtement. Ce qui distingue l'homme des autres vivants est à la fois le signe de sa force et de sa faiblesse : il est nu donc il se vêt. Contrairement à l'animal que sauve l'instinct qui lui désigne sa nourriture et son gîte, l'homme n'a que la ressource de son intelligence pour transformer la nature à son avantage. Or, comme le dit Bergson dans L'Evolution créatrice, « l'intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils et d'en varier indéfiniment la fabrication ». L'homme apparaît donc originellement comme un être de technique, un fabricateur, un homo faber.

L’abeille et l’architecte

 

Le travail est une activité proprement humaine qui suppose la conscience de ce que l'on fait, alors que l'activité animale relève de l'instinct, même si on peut la comparer à celle de l'être humain. Chez l'homme il y a de l’originalité et de l’invention car il y a de la réflexion. Pour l'animal, la réalisation se fait instinctivement. L'inventivité est par conséquent propre à l'espèce humaine. Marx considère finalement que le travail des animaux n’en est pas un, contrairement à celui des hommes. Si les animaux sont capables de transformer la nature (ainsi le nid de l’oiseau, le barrage du castor, la cellule de l’abeille), seul l’homme transforme sa nature par son travail. Dès lors, un travail humain qui n’est pas accomplissement de soi est une activité ; elle peut même être salariée ; mais seul le travail humanisant mérite ce nom.

 

Dialectique du maître et de l’esclave

 

En apparence, le maître est plus libre que l’esclave. Or Hegel s’attache à montrer qu’il n’en est rien. Le maître obtient tout sans effort. Ses désirs les plus capricieux sont immédiatement satisfaits par le travail de l’esclave. L’esclave en revanche, en transformant la nature, rencontre une résistance. Contrairement au maître, il n’a rien sans effort. Or l’esclave, pour pouvoir maîtriser la nature et la transformer selon la volonté du maître, doit développer en lui un certain nombre de dispositions requises par le travail. Il doit apprendre à se discipliner, à être méthodique afin que ses efforts ne demeurent pas improductifs. Le travail demande de faire preuve d’ingéniosité pour adapter les bons moyens aux fins désirées. L’esclave doit encore acquérir une certaine habileté manuelle, ce qui implique une certaine maîtrise de soi. Le travail exige le développement de certaines qualités psychologiques telles que la patience, le courage, etc. Sans ces qualités, l’esclave serait incapable de fournir un quelconque travail efficace et ses efforts resteraient vains. Le maître est libre comme l’animal est libre. Il jouit passivement de biens qui lui sont immédiatement donnés. Il devient en ce sens esclave de son propre esclave puisque sans lui, il n’a rien. Mais plus encore, le maître reste esclave de sa propre nature sauvage, puisque rien ne résiste à ses caprices. L’esclave, grâce au travail, sera de plus en plus capable d’exercer une maîtrise sur lui-même, dont le maître sera de moins en mois capable. Car l’esclave ne sera maître de la nature qu’à condition qu’il devienne en même temps maître de lui-même. Pour pouvoir transformer la nature, l’esclave va devoir en même temps transformer sa propre nature. Par le travail l’esclave apprend à devenir maître de lui-même, donc plus libre. Il domestique sa propre nature, la rend moins sauvage, plus humaine.

Le capital est un rapport social entre les personnes

 

Le rapport soi-disant objectif entre marchandises sert de modèle au rapport d’échange entre l’employeur et le salarié : la rémunération salariale paraît répondre adéquatement au travail. Cela serait vrai si la force de travail était rémunérée proportionnellement à la valeur produite, mais la force de travail n’est rémunérée qu’au plus juste et la valeur ajoutée qu’elle produit est accaparée de façon privative par le capitaliste. La valeur d’échange du travail est donc inférieure à la valeur qu’il produit réellement. La marchandisation de la force de travail assure ainsi son exploitation en même temps qu’elle la masque, puisqu’elle présente l’échange entre salaire et force de travail comme égale alors qu’elle ne l’est pas (d’où le déséquilibre entre un salaire sous-évalué et une marchandise vendue à sa vraie valeur). Le capitalisme n’a pas inventé la marchandise ni le marché. Il n’a pas inventé non plus le travail. Mais il a inventé quelque chose qui était jusqu’alors inédit : le marché du travail. Avec le capitalisme, le travail devient une marchandise. Tout est dans cette différence entre travail et force de travail : le capitaliste n’achète pas le travail, il achète la force de travail. Et il la paie à son juste prix, celui du marché. Mais la valeur d’usage de cette force de travail est supérieure à sa valeur d’échange, ce qui permet au capitaliste de dégager une plus-value. C’est dans cette fissure entre valeur d’usage et valeur d’échange, ou entre travail et force de travail, que surgit la plus-value comme vérité d’une spoliation. Ce que les rapports de production expriment et cachent à la fois est donc l’exploitation de la force de travail, le fait que le prolétaire produit un surtravail qui se traduit par une plus-value empochée par le capitaliste.

Répertoire et critique des preuves de l'existence de Dieu

Kant répertorie les trois preuves de l’existence de Dieu dans la Critique de la raison pure. La preuve ontologique (Si Dieu est un être parfait, il ne peut pas ne pas exister, car cette qualité manquerait alors à sa perfection.) La preuve cosmologique, ou preuve par la contingence du monde (Le monde, les hommes auraient pu ne pas exister : ils sont contingents. Si le monde existe, si l’homme existe, c’est nécessairement parce qu’il y a un être à leur origine, un être qui les a créés et qui a voulu qu’ils existent). La preuve physico-théologique, ou preuve téléologique – preuve par les causes finales (La beauté, l’harmonie, l’ordre, la perfection de la nature supposent un être parfait qui l’a conçue et créée : cela implique l’existence de Dieu).

La critique des preuves de l’existence de Dieu est également développée par Kant dans la Critique de la raison pure. La preuve ontologique montre que Dieu est possible mais non pas qu’il est réel, connaissable. Son concept n’est pas contradictoire, il est pensable, donc possible. Mais l’existence d’une chose ne peut pas être déduite de son idée (l’existence n’est pas la propriété logique d’une chose). On ne peut pas déduire une existence d’une essence ni le réel du possible. L’existence s’éprouve mais ne se prouve pas. La preuve cosmologique affirme que la contingence suppose la nécessité à son principe. Alors que la preuve ontologique part de l’idée que Dieu est parfait pour en déduire qu’il existe, la preuve cosmologique par de l’idée de la nécessité d’une cause première pour en déduire sa perfection. Dans les deux cas, le lien est maintenu entre l’idée de perfection et celle d’existence nécessaire. Or cette association est déjà ruinée par la critique de la preuve ontologique. La preuve physico-théologique aboutit à l’idée d’un architecte du monde et non pas d’un créateur. Elle suppose donc le recours à la preuve cosmologique pour affirmer que l’architecte est aussi le créateur du monde, c’est-à-dire la cause première et parfaite. La troisième preuve s’écroule donc avec la deuxième.

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corrigé du DM1 (T1 & T2)

Kant, discipline et instruction (THLP)

Rancière, Le Maître ignorant (THLP)

Bergson, l'artiste révélateur (THLP)

L'Etat est-il l'ennemi de la liberté ? (T1 & T2)

La diversité des cultures empêche-t-elle les hommes de s'accorder sur ce qui est juste ? (T1 & T2)

Réclamer la justice, est-ce renvendiquer l'égalité ? (T1 & T2)

L'égalité est-elle le fondement d'une bonne république ? (T1 & T2)

Peut-on parler de nature humaine ? (T1 & T2)

La fête est-elle non essentielle ? (T1 & T2)

Hegel, l'art renseigne sur l'humain (THLP)

Naît-on libre ou le devient-on ? (T1 & T2)

Qu'est-ce que le moi ? (THLP mais aussi T1 & T2)

Sartre, Descartes et Spinoza sur la liberté (T1 & T2)

Dans quelle mesure peut-on dire que l’identité est affaire de théâtre ? (THLP)

Eloge et blâme, DM4 (T1 & T2)

Vivre mieux, est-ce travailler moins ? (T1 & T2)

Peut-on apprendre à devenir soi-même ? (T1 & T2)

Sapere aude (T1 & T2)

Pascal, fragment 100 des Pensées (T HLP)

L'éducation a-t-elle besoin des vacances ? (T HLP)

Kierkegaard, Russell, Bernard (DM5) (T1 & T2)

Culture comme antidote à la guerre et guerre juste (THLP)

Hegel, l'art libère des passions (THLP)

Weil, Nietzsche, Alain, Arendt (DM6) (T1 & T2)

Doit-on, avec Arendt, se méfier des machines ? (THLP)

bac blanc 2 TC sujet 1

bac blanc 2 TC sujet 2

bac blanc 2 TC sujet 3

bac blanc 2 TC remplacement sujet 1

bac blanc 2 TC remplacement sujet 2

bac blanc 2 TC remplacement sujet 3

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bac blanc 1 HLP

bac blanc 2 HLP

Bergson et Nietzsche sur l'art (DM7) (T1 & T2)

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